jeudi 18 décembre 2014

Donner du pouvoir au personnel


L’empowerment ou délégation de pouvoir est une pratique consistant à déléguer une partie du pouvoir de décision à ceux qui sont les plus proches des problèmes.

Un chercheur britannique, Conrad Lashley, a étudié* quelle forme prenait l’empowerment dans une chaîne de restaurants-bars à thème, TGI Fridays. Il a mené 36 entretiens avec des managers et des employés de cuisine, du bar et de salle dans quatre restaurants au Royaume-Uni. Il a aussi observé le comportement du personnel en contact avec les clients.

TGI Fridays est une chaîne très standardisée au niveau du décor, de la carte (plats américano-mexicains) et de l’organisation humaine. La rapidité du service et la convivialité du personnel en contact sont privilégiées.

L’auteur montre que les employés sont incités à développer le sentiment qu’ils disposent de pouvoir. On leur laisse la possibilité d’agrémenter leur uniforme. Ils traitent eux-mêmes les réclamations. Ils doivent accepter les demandes inhabituelles des clients, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. Ils sont confrontés au dilemme des deux patrons : ils doivent satisfaire le client tout en maintenant les standards de qualité voulus par la direction.

Un turnover élevé

La paie est constituée d’un petit fixe et d’un pourcentage de service auquel s’ajoutent les pourboires. En cuisine, la paie est liée à la production réalisée lors de chaque service par l’équipe. Chaque trimestre, les meilleurs employés sont désignés par les managers. Ils peuvent alors choisir quand ils travaillent, ce qui est source de stress. Le taux de rotation du personnel est élevé, peut-être parce que les employés non récompensés en viennent à être insatisfaits.

L’étude de cas montre que, grâce à l’empowerment, tous les personnels en contact se sentent impliqués vis-à-vis des clients et de leurs collègues. Les employés les plus expérimentés ont un sentiment d’efficacité personnelle fort.

* Lashley Conrad. Empowerment through involvement: a case study of TGI Fridays restaurants. Personnel Review, 2000, vol. 29, issue 6, p.791-815.

jeudi 27 novembre 2014

Pénurie de main-d'œuvre ?

Dans un article passionnant, Michèle Forté et Sylvie Monchatre* montrent très clairement que l’idée selon laquelle l’hôtellerie-restauration connaît une pénurie de main-d’œuvre doit être fortement relativisée.

Ces deux chercheuses s’appuient sur les études nationales menées par le Cereq et la Dares ainsi que 25 entretiens auprès d’employeurs indépendants, de directeurs d’établissement de chaînes d’hôtellerie-restauration, de représentants des organisations professionnelles, d’acteurs de la formation à Paris, Lille, Lyon et en Alsace.

Les auteures remarquent que le discours sur le manque de personnel est récurrent chez les employeurs et leurs représentants, surtout lors des phases de reprise économique. Il est vrai que l’indicateur de tension sur le marché du travail atteignait 0,64 en 2012 (1,2 en 2007-2009) pour l’hôtellerie-restauration contre 0,49 dans l’ensemble des professions. Ils notent aussi que la demande d’emploi dans l’hôtellerie-restauration par rapport à la population active dans les CHR est plus élevée que dans l’ensemble des familles professionnelles.

Mais il ne faut pas se fier aux données de Pôle emploi. D’abord parce qu’elles comparent les demandes pour travailler dans l’hôtellerie-restauration et les offres émanant des CHR. Or, les employeurs, lorsqu’ils recrutent via Pôle emploi, embauchent majoritairement des demandeurs postulant dans un autre secteur d’activité. Ensuite parce que seulement une faible part des embauches réalisées passe par Pôle emploi : 7 % dans la région Strasbourg, par exemple. Les employeurs ne s’intéressent quasiment pas aux demandeurs « Pôle emploi » dont les exigences ne correspondent pas à l’offre.

Réseaux informels


Les CHR utilisent beaucoup les réseaux informels afin de minimiser les coûts de recrutement : ils puisent dans les candidatures spontanées et font appel au « vivier » des apprentis et des élèves de lycée hôtelier, à leurs salariés, au bouche-à-oreille. Les chaînes passent un peu par Pôle emploi pour recruter des personnes sans formation hôtelière. Elles profitent aussi de tous les dispositifs pour recruter des jeunes en échec scolaire, issus des zones urbaines sensibles, des handicapés, des seniors.

Autre argument de Michèle Forté et Sylvie Monchatre pour relativiser l’idée d’une pénurie de main-d’œuvre dans l’hôtellerie-restauration : on aurait dû, au moins dans les périodes de reprise économique, assister à une envolée des salaires. Cela n’a pas été le cas puisque le salaire médian dans les CHR demeure bien inférieur à celui de l’ensemble des familles professionnelles.


* Forté Michèle, Monchatre Sylvie. Recruter dans l’hôtellerie-restauration : quelle sélectivité sur un marché du travail en tension ? La Revue de l'Ires, 2013, n° 76, p. 127-150.

mercredi 26 novembre 2014

Au restaurant pour la première fois


Que vivent les clients lors de leur première expérience dans un restaurant ?

Johns et Kivela* ont interrogé douze personnes, cinq hommes et sept femmes à ce sujet. Il en ressort que les attentes des néo-consommateurs ne sont pas toujours précises. Elles peuvent être influencées par l’expérience d’un proche, l’observation de la salle depuis l’extérieur ou l’étude du menu. Il faudrait ajouter aujourd'hui (l’étude date de 2001) que les avis sur les sites Web participatif permettent de se faire une idée préalable. Certaines des personnes interrogées ont dit ressentir une certaine appréhension avant de fréquenter un restaurant nouveau et être intimidés durant le repas.

En entrant dans un nouveau restaurant, les clients jugent d’abord les éléments physiques de l’atmosphère : calme, propreté, décor, espace, éclairage, places disponibles, tenue du personnel en contact. Ils n’aiment pas les salles vides et observent les autres clients.

Le comportement du personnel peut gâcher l’expérience. Les autres clients doivent rester un élément de décor et ne pas importuner, en étant trop bruyant. Lorsque l’on est un groupe des convives, l’environnement extérieur (serveurs, autres clients) a moins d’importance. Même si tout n’est pas parfait, on évite de trop se plaindre pour ne pas vexer celui qui a choisi le restaurant.

Importance des premiers instants

Finalement, il apparaît que, comme l’affirme la théorie de la qualité de service, les clients évaluent la performance d’un restaurant en la comparant avec leurs attentes. D'une certaine manière, sortir dans un nouveau restaurant peut être vécu négativement comme une incursion dans un territoire étranger, d’où l’importance des relations interpersonnelles agréables avec le personnel et les autres clients. Les premiers instants, après l’entrée dans l’établissement, jouent un rôle crucial.

Les restaurateurs ont donc intérêt à ne pas considérer les clients comme des individus isolés, car les perceptions d'une tablée ne sont pas les mêmes suivant le nombre de convives. Le personnel de service doit veiller à ce que les clients nouveaux s’approprient l’espace. Quant aux designers ils devraient aussi aider les clients à « coloniser » le restaurant pour qu’ils y vivent des rencontres de service agréables.

*Johns Nick, Kivela Jack. Perceptions of the first time restaurant customer. Food Service Technology, 2001, vol. 1, issue 1, p. 5-11.

dimanche 26 octobre 2014

Charge de travail et performance du personnel de restaurant


Faut-il pousser les clients à consommer ou à quitter rapidement leur table pour en accueillir d'autres ?

Une étude* aborde la question de la charge de travail du personnel en contact des restaurants. Elle a été menée durant dix mois dans cinq restaurants de chaîne de moyenne gamme situés près de Boston. Près de 200 000 additions ont été étudiées. Pas manuellement bien sûr ! Les données du logiciel de facturation ont été utilisées.

On le sait, en cas d’affluence, le personnel de restaurant doit arbitrer entre rotation des tables et ventes. S’il pousse le client à consommer, un dessert par exemple, le temps passé à table augmentera ce qui retardera l’installation de nouveaux clients.

Optimiser l'effectif


La charge de travail par serveur (nombre de tables et de couverts par serveur), a été mise en relation avec les ventes par table (en dollars) et la durée du repas. Les résultats sont étonnants. Lorsque la charge de travail augmente, les ventes par heure augmente, mais une fois un palier atteint, elles diminuent. De même, à mesure que le travail du serveur s’accroît, la durée du repas augmente, preuve qu’il fait un effort de vente, puis elle diminue, parce que la rapidité du service est privilégiée.

Les auteurs en concluent qu’il faut optimiser l’effectif du personnel de service : il faudrait que chaque serveur ait suffisamment de travail, mais pas trop. Ce qui implique un système performant de prévision de la fréquentation. Beau sujet de réflexion pour tous les managers.

* Tan Fangyun, Netessine Serguei. The Implications of Worker Behavior for Staffing Decisions: Empirical Evidence and Best Practices. Cornell Hospitality Quarterly, 2014, vol. 55, n° 3, p. 277-286.

vendredi 6 juin 2014

Modes de jeu des accueillants


Des chercheurs ont depuis longtemps montré que le personnel en contact avec des clients tiennent un rôle, comme au théâtre.

Dans un très intéressant article, Shani et ses collègues* distinguent trois types de jeu pour les accueillants lors des rencontres de service :
  • le jeu superficiel (surface acting) : l'employé simule des émotions différentes de celles qu'ils ressent intérieurement ;
  • le jeu profond (deep acting) : l'employé, tel un acteur de théâtre, cherche à faire correspondre ses propres sentiments et émotions avec celles attendues compte tenu du rôle qu'il doit tenir ;
  • le jeu authentique (genuine acting) : l'employé sent que ses émotions sont en harmonie avec le rôle qu'il tient.

Jeu superficiel

Ont été menés 35 entretiens approfondis avec des accueillants travaillant dans l'hôtellerie, la restauration et le transport aérien. Il apparaît que quatre facteurs conduisent les accueillants à pratiquer un jeu superficiel :
  • un management sans empathie et indifférent ;
  • une activité professionnelle physiquement éprouvante (port de charges lourdes, station debout prolongée, trou d'air dans l'avion) ;
  • l'absence, surtout en hôtellerie-restauration, d'une formation à l'exercice d'un travail émotionnel ;
  • des rencontres de service nombreuses, de courte durée et répétitive avec des personnes inconnues (versus habituées).
De quoi donner des idées aux managers de proximité, c'est-à-dire à ceux qui gèrent une équipe d'employés en contact avec des clients.

* Shani Amir, Uriely Natan, Reichel Arie, Ginsburg Limor. Emotional labor in the hospitality industry: The influence of contextual factors. International Journal of Hospitality Management, Volume 37, p. 150–158.